De la Chine, à l’espace en passant par l’Europe et les Amériques,
De Su Song à Jocelyn Bell en passant par Charles Messier,
L’histoire de l’étoile qui engendra un crabe.
La Chine du XIe siècle
Il y a mille ans, la chine était gouvernée par la dynastie Song. Le XIe siècle fut une période faste pour l’empire du Milieu en matière d’innovations technologiques, notamment dans le domaine des instruments de navigation, d’observation et de cartographie.
En 1092, l’astronome Su Song produisit une carte du ciel qui représentait de façon assez précise les étoiles du ciel chinois ainsi que les constellations imaginées par leurs ancêtres. Cette carte nous est encore aujourd’hui extrêmement utile pour localiser les phénomènes décrits dans les anciens textes chinois.
La supernova de 1054
En juillet 1054, plusieurs astronomes chinois consignèrent l’apparition soudaine d’une étoile en plein jour. Pendant vingt-trois jours, elle illumina le ciel diurne au côté du soleil, et resta visible de nuit pendant six cent quarante-deux jours, soit presque deux années, éclairant le ciel nocturne aussi fortement que la pleine lune avant de disparaître complètement.
Les astronomes japonais, coréens et arabes firent les mêmes observations, expliquant l’apparition de cette étoile « invitée » par des événements magiques pour certains, sacrés ou prophétiques pour d’autres.
En Europe, on trouve plusieurs extraits dans des chroniques médiévales. La plus sérieuse relatait le voyage de l’empereur germain Henri III en Italie. Cette apparition fut reconnue comme l’un des miracles ayant suivi la mort du pape Léon IX la même année en vue de sa canonisation. En Amérique du Nord, Indienne à cette époque, on retrouve aussi des traces de l’observation de ce phénomène. Par exemple sur le site de Chaco Canyon au Nouveau-Mexique, daté de cette époque, on a retrouvé une stèle représentant l’étoile en conjonction avec la lune.
Et une fois disparue, cette étoile fut oubliée.
Le catalogue de Messier
Charles Messier fut un célèbre astronome français du XVIIIe siècle. Chasseur de comète, il en étudia plus de quarante et en découvrit vingt. En 1759, tandis qu’il guettait le retour de la comète de Halley, il se méprit pendant plusieurs nuits en croyant l’observer. Mais ce qu’il observa réellement pendant plusieurs jours ne s’est révélé n’être qu’une petite tache diffuse dans son télescope. Ces petites taches dans le ciel étaient alors appelées « nébuleuses ». À la différence des comètes, elles étaient fixes dans le ciel, et n’intéressaient alors personne.
Afin de ne plus perdre de temps, il décida de créer un catalogue de tout ce qui n’était pas une comète dans le ciel, à commencer par cette nébuleuse à laquelle il attribua le numéro 1 (M1 ou Messier 1). Ce fut le premier et plus célèbre catalogue du ciel, encore utilisé aujourd’hui notamment par les astronomes amateurs comme moi.
Aux alentours de 1840, William Parsons, troisième comte de Rosse, observa la nébuleuse au château de Birr en Irlande et lui donna le nom de « Nébuleuse du crabe » en raison de la ressemblance d’un dessin qu’il en fit avec l’animal.
L’étoile à neutrons
Au XXe siècle, à la suite aux travaux d’Einstein, Eddington, Chandrasekar, et autres, on comprit que l’observation de 1054 correspondait à l’explosion d’une étoile en supernova, un phénomène très rare qui ne se produit environ qu’une seule fois par siècle dans chaque galaxie. C’est la première supernova de l’histoire pour laquelle nous possédons des traces écrites d’observation. En croisant les données d’observation des astronomes chinois et nos connaissances actuelles du ciel, on trouve l’exacte localisation de la nébuleuse de Messier M1 appelée aussi nébuleuse du crabe.
Il s’agit des restes de l’étoile qui a explosé, projetant ses couches extérieures de gaz avec une énergie folle, transformant son cœur en étoile à neutron. Lors de cette explosion, l’étoile a produit plus de lumière que 400 milliards de Soleils, plus que notre galaxie toute entière.
Le pulsar du Crabe
En 1969, on a découvert que cette étoile à neutron tourne sur elle-même à une vitesse de 30 tours par secondes (un tour par mois pour le soleil). C’est un pulsar tel que Jocelyn Bell venait de les découvrir deux années auparavant.
La nébuleuse brille désormais comme 75 000 soleils. Elle est située à 6300 années-lumière de la terre, et s’étend sur six années-lumière. Le pulsar, au centre, mesure 10 km, mais possède une masse supérieure à celle du soleil (qui mesure 700 000 km). À la surface de ce pulsar, la densité est telle que 1 cm3 de matière pèse 1 milliard de tonnes.
Le pulsar rayonne majoritairement dans les rayons gamma, l’état le plus énergétique de la lumière, avec une puissance qui varie entre 100 et 400 milliards d’électrons-volts. C’est un milliard de fois plus que la lumière visible du soleil ce qui en fait le plus puissant pulsar connu à ce jour.
En 2005, le télescope spatial Hubble a réalisé la photo la plus détaillée à ce jour de la nébuleuse.
En décembre 2016, pendant deux nuits j’ai pointé mon télescope sur ces coordonnées, afin d’imager cette nébuleuse sur un temps de pose total de 9 h à travers des filtres à bande étroite. Je dois avouer que je n’ai pas trouvé flagrante la ressemblance avec le crabe. Voyez vous-même.